Légendes du Commerce n°2 : Les Produits Libres...suite
Avec la collaboration de
Suite de ce rendez-vous avec Les Produits Libres commencé hier. Je laisse la place à Yves Soulabail.
3/ Moments de légende
Un débat radiophonique entre Denis Defforey et Edouard Leclerc est organisé le 2 juin 1976, animé par Etienne Mougeotte. Les deux adversaires se font face.
Il est 19h10. L’animateur fait les présentations et centre l’émission : « Le sujet : les produits libres, les super-marchés, les grandes surfaces et les consommateurs. Je pense que si vous êtes d’accord, messieurs, c’est monsieur Leclerc qui pourrait commencer puisque c’est vous qui portez le fer. Monsieur Leclerc, c’est vous qui accusez en quelque sorte Carrefour, alors je vous laisse le soin de répéter vos accusations. »
– Je n’accuse pas Carrefour comme concurrent parce que je ne suis pas commerçant, je n’exploite aucun magasin. Les centres Leclerc ne m’appartiennent pas et ne me versent aucune rémunération directe ou indirecte. Ce n’est donc pas sur le plan purement commercial mais sur le plan idéologique que je vais me battre. Je réagis à la publicité de Carrefour sur les produits libres pour deux raisons : depuis 27 ans, je me suis battu pour obtenir l’abolition des prix imposés des produits de marque et pour abolir le droit de refus de vente des produits de marque. Je vois dans l’opération “produits libres” un grand danger déjà par leur démesure, les grandes sociétés capitalistes commerçantes ont provoqué le vote de la loi Royer qui leur garantit désormais un monopole de fait puisqu’aucun jeune distributeur ne peut plus s’installer sans passer devant une commission régie par une majorité de commerçants. Aujourd’hui, par cette démesure, on risque de donner la possibilité aux grandes marques de remettre en cause les lois votées sur les prix imposés [par les producteurs] et les refus de vente. Je ne vois pas quel tribunal pourrait donner tort à ces grandes marques quand délibérément, on juxtapose des soi-disant “produits libres” près des produits de marques qu’on dénigre sur le plan des prix à grand renfort de publicité. [...]
En vérité, vous commercialisez pour votre profit personnel un rêve socialiste d’une société parfaite, vous agissez comme les commerçants, les fabricants de produits de confiserie de Lourdes ou de Fatima qui utilisent l’eau de Lourdes ou de Fatima pour vendre aux clients les bonbons d’un goût sucré. Ce n’est plus de la gestion, c’est un truc pour faire rêver la Bourse car ce qui vous intéresse c’est “boursicoter”, c’est vendre votre propre marque et votre clientèle en Bourse. C’est du consumérisme, peut-être comme on fait à Lourdes, du religionnérisme. »
Etienne Mougeotte saisit la parole et demande alors à Denis Defforey, avant de répondre aux accusations, de dire rapidement ce que sont ces produits libres.
Ce dernier approuve et décrit la liberté apportée aux consommateurs par l’hypermarché, le parking gratuit, les horaires, le libre-service et le choix et continue son discours.
– Il y a les grandes marques, les marques qui ont fait le succès de l’hypermarché et cela est une chose que monsieur Leclerc nous a apprise mais tout le monde n’achète pas de grandes marques. Tout le monde ne voyage pas sur Air France. Il y a des gens qui voyagent sur des charters et qu’est-ce-que c’est que les produits libres ? C’est des produits dépouillés [...]. Aussi, quand je vois, que monsieur Leclerc, dit que c’est le contraire de la liberté, je pense qu’il n’a rien compris aux produits libres et qu’il ferait bien de lire certaines enquêtes qui ont été faites auprès des consommateurs. 74 % des consommateurs ont compris les produits libres et c’est cela qui nous sépare de monsieur Leclerc, il l’a dit tout à l’heure : “Je ne suis pas un commerçant” car le client, il ne le comprend pas, nous, nous le comprenons.
– Alors, je crois que quand on parle de produits libres, reprend Edouard Leclerc, je voudrais d’abord souligner le véritable problème, car pour moi, aujourd’hui, supprimer les grandes marques et essayer de libérer les produits sans élément de comparaison, c’est permettre à tous ceux qui ont un monopole, de prendre toutes les marges possibles à un moment donné sans avoir un concurrent qui pourra comparer, faire comparer, les produits identiques et c’est vraisemblablement cela que l’on cherche. [...] Et je crains, quand on analyse les différents bilans que devant l’augmentation des frais généraux, on soit dans certains hypermarchés amené à augmenter les marges bénéficiaires et pour augmenter ces marges bénéficiaires, on veut faire disparaître l’élément de comparaison, c’est-à-dire la marque. Il serait beaucoup plus habile de conserver les marques et de faire pression ensemble pour que ces marques qui vous disent produire une qualité identique et vous livrent, vous Carrefour, à moins cher, vendent leurs marques moins cher et que nous puissions continuer à offrir à ceux qui ne peuvent pas se payer des marques, des marques à des prix identiques que les produits libres.
– Cela devient passionnant parce qu’avec Leclerc, on se bat toujours à armes inégales. Il veut comparer des bilans, Le mien, il l’a, moi je n’ai pas le sien. Et je ne sais pas si quelqu’un a jamais eu le bilan de monsieur Leclerc. Je crois que, monsieur Leclerc, vous avez dit quelque chose de faux. Vous avez dit : “éliminer les marques” mais c’est le contraire de notre but. Où serait la liberté s’il n’y avait pas la comparaison des marques ?[...] »
Réinterprétation des marques de distributeur
La première MDD est faite par le Groupe Casino en 1906. Etienne Thil, modifie le concept qui avait perdu de son impact commercial avec les années en se positionnant face aux marques nationales en terme de qualité mais en étant 20 à 30% moins cher.
Les produits libres inspirent les produits génériques aux Etats-Unis
En novembre 1976, l’enseigne Jewel de Chicago (États-Unis), voyait fuir sa clientèle au profit d’un nouveau type d’adversaire : Aldi, enseigne fondée par les frères Albrecht.
Aussi, la direction décida de traverser l’Atlantique jusqu’en Allemagne pour y découvrir la mère patrie du concurrent et en comprendre le succès. Sur le retour, escale à Paris. Ils s’acquittent d’une visite auprès de Carrefour, en France. C’était six mois après les jours fous d’avril. Etienne Thil leur expliqua. Ce fut pour eux la source de ce « que les Américains vont expérimenter à leur tour, sous le nom de generic products. »
Un grand merci à Yves Soulabail pour ce témoignage dans le format désormais mensuel de "Légendes du Commerce" publié en collaboration avec Distripédie, l'Encyclopédie de la distribution: http://www.CarrefourUncombatpourlaliberte.fr
Rendez-vous début mai pour le numéro 3 de "Légendes du Commerce"